Chine 1978

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La Chine est-elle immuable ou en proie, devant nos yeux, à un changement historique ? Sans doute un peu des deux. Le carnet de voyage que nous offre Grégoire de Gaulle
- avec une modestie qui fait qu'il a attendu 26 ans avant de nous le faire partager - peut paraître bien décalé par rapport aux images modernistes que rapportent les millions de touristes et d'hommes d'affaires qui ont visité Shanghai, Pékin ou Canton. Point de gratte-ciels, de limousines étincelantes, de ravissantes jeunes femmes à la dernière mode et d'ambitieux
« businessmen » partis à la conquête du monde ! Mais un petit peuple qui survit tant bien que mal les bouleversements que lui imposent le Ciel ou ses dirigeants. Un petit peuple qui,
en cette année 1978, deux ans après la mort de Mao et la fin du désastre meurtrier de la Révolution culturelle, a déjà réappris à vivre, et à sourire.

Ce peuple chinois s'amuse, voyage, mange, se fichant bien de ce grand jeune homme étranger de vingt-deux ans qui le mitraille avec son appareil photo. Ce n'est pas lui qui l'empêchera
de grimper sur le bateau de marbre du Palais d'été, à Pékin, et de faire immortaliser cette excursion par un photographe ambulant. De jouer aux échecs chinois torse nu ou en marcel
dans la touffeur des « hutong », les ruelles du vieux Pékin. Mais c'est peut-être lui qui a fait brailler d'effroi ce gamin qui n'avait peut-être jamais vu de « waiguoren », ces étrangers
si rares à l'époque.

Oui, les temps ont bien changé et la lenteur désinvolte de Chinois qui travaillaient pour le régime avec autant d'enthousiasme que celui-ci mettait de générosité à les rémunérer
a cédé la place à l'économie de marché : finie l'unité de travail, le « danwei », cocon à la fois si répressif et si confortable. Il faut désormais lutter pour survivre, pour travailler,
pour conserver ou obtenir un logement. A la dictature du Parti a succédé celle de l'argent et du marché. Les écarts de revenus se sont multipliés dans une société longtemps habituée
à un égalitarisme de façade, les tensions sociales sont là pour ceux qui veulent bien les voir, en ville comme à la campagne.

Face à ce peuple sensible, patient, si avide de goûter les - encore trop rares - menus plaisirs qui sont les siens, Grégoire de Gaulle a lui aussi su se montrer sensible, patient. Sans cela,
il ne nous aurait ramené qu'une collection de photos de voyage dont on sait qu'elles vieillissent aussi vite que le papier sur lesquelles elles sont tirées. Ressorties de leurs cartons,
elles n'ont pas pris de rides, seulement un peu de bouteille. Car derrière l'uniforme Mao ou la robe passe-partout en calicot mal coupé, comme aujourd'hui en vêtements de bon faiseur, les Chinois resteront toujours des Chinois. Avec leur sourire indéfinissable qui est moins la manifestation de leur contentement intérieur qu'un miroir ou une protection contre
le monde extérieur, l'émerveillement des enfants et la placidité des vieux qui en ont tant vu.

Patrice de Beer

2004